La vie SDF au Luxembourg

Les institutions sociales au Luxembourg: Stroossenenglen.


Peut-être des anges - mais une nouvelle déception pour moi.


La camionnette des Stroossenenglen devant mon ex-squat
Si d'habitude, j'ai très rapidement une opinion claire et précise d'une institution sociale donnée (qui, bien-sûr peut changer, parfois même radicalement, avec le temps), j'ai mis une année avant de me décider d'écrire mon article concernant les Stroossenenglen, car je ne suis aucunement arrivé à les évaluer. Mon premier contact avec eux c'est fait par hasard, l'une d'eux qui m'a "découvert" dans mon (ex-)squat dans ce beau parc près de l'eau à l'ouest du pays. Comme j'ai eu besoin d'un nouveau sac de couchage et de vêtements, je leur ai demandé s'ils pourraient m'en procurer. Ils sont venus avec leur camionnette quelques jours plus tard, nous avons longuement discuté et j'étais persuadé qu'enfin, il y aurait une organisation à vocation sociale au Grand-duché qui serait vraiment là pour nous, qui nous considérerait à 100% comme des êtres humains à part entière, qui pourrait nous donner la voix à laquelle les animaux ont le droit par l'intermédiaire des organisations qui les défendent, mais dont les sans-abri sont privés avec toutes les conséquences que cela entraîne. Se faire de l'espoir, semble toujours finir par être déçu. Difficile d'écrire un article concernant des gens, qui sont une énigme pour moi, plus difficile encore de rester objectif dans un tel cas. Des mois après notre rencontre, voici mon essai de le faire quand-même.
D'abord à noter que les Stroossenenglen ne sont pas identiques aux Streetangels; si j'ai bien compris le responsable des premiers était membre des seconds dans le temps, puis après les avoir quitté parce qu'il n'était pas du tout d'accord avec ce qu'ils font, a fondé sa propre a.s.b.l. Ils diffèrent entièrement de structures comme p.ex. Streetwork: il s'agit d'une organisation privée et indépendante (peut-être sponsorisée par des institutions publiques?), donc en principe libre d'aider qui ils veulent et comment ils veulent; en plus, les gens, qui y travaillent, sont (exclusivement?) des bénévoles, donc à exclure d'office qu'ils feraient ce job à cause d'un salaire attrayant. Conditions idéales de départ donc pour nous et d'après ce que leur responsable m'a raconté (pas absolument sûr qu'il y a lieu de tout croire sans vérifier; cf. plus bas), cela a ses conséquences directes et positives pour les sans-abri. Les Stroossenenglen ne sont pas adeptes de cette vision, malade dans mes yeux, que tout vendeur de drogues arabe venant au pays devrait être soutenu par notre système social («parce que ce sont des êtres humains», dit le directeur de la Caritas), ni ils considèrent que favoriser ceux, qui ont travaillé au Luxembourg serait du racisme (vue totalement inappropriée dans mes yeux, car s'il existe une multitude d'institutions, où eux, ils reçoivent de l'aide, alors que nous autres, nous n'avons même pas le droit à y mettre le pied, pourquoi ce serait faut, qu'il y aurait des places réservées aux résidents). Ils se montraient surpris qu'à l'action d'hiver, uniquement une dizaine de pourcents des clients sont des SDF locaux et trouvent cela tout aussi anormal que moi. Et, plus important encore, ils ne cherchent pas à trouver toute sorte de prétextes pour ignorer cette triste réalité que dans les centres sociaux, encore et encore des SDF d'ici se font voler ou même taper par des immigrants et par la suite ont peur d'y aller, donc préfèrent rester dans la rue. À la commune de Luxembourg-ville, on n'était pas du tout content, quand ils leur en parlé. On leur aurait même demandé, à quoi une organisation telle la leur pourrait être bonne, avec toutes les institutions publiques qui existent. Pas étonnant, que le système social sous la commande des Ministères ne les aime pas. Mais à la différence du service de proximité de la Croix-Rouge (cf. mon article Le service de proximité: De l'aide ponctuelle dans le seul but d'aider), le gouvernement n'a guère de possibilité de les fermer et, sous conditions qu'il ne leur arrive pas l'idée qu'en s'associant avec les services publiques, ils pourraient faire beaucoup plus pour nous, pourront définir eux-mêmes les priorités à qui aider d'abord, à qui après et à qui, éventuellement, pas du tout.
Du point de vue pratique, les Stroossenenglen offrent aux gens, qui vivent vraiment dans la rue (car ce sont eux, qui semblent effectivement être ceux, pour qui ils veulent s'engager), la possibilité d'obtenir une aide rapide, ponctuelle et, surtout, sans toutes ces conditions que pose le "système officiel". Comme je l'ai dit plus haut, ils sont venus avec leur camionnette des alentours de Diekirch jusqu'ici pour me procurer ces choses, dont j'avais vraiment besoin à ce moment-là. D'ailleurs, leur aide ne se limite pas à des vêtements: possibilité aussi d'avoir des paquets de nourriture, jamais essayé moi-même, mais pouvant probablement être une aide précieuse quand la manche va tellement mal, qu'on n'a pas les sous pour acheter le stricte minimum pour vivre. La possibilité aussi à avoir des sandwichs et une soupe chaude: 2 fois par semaine (si je ne me trompe), leur camionnette se rend à certains points en ville pour distribuer de la nourriture. L'un de ces points est Abrigado, là encore une preuve, qu'ils voient où sont ceux, qui sont en bas de la pyramide et qui ont plus besoin d'aide ponctuelle que n'importe qui d'autre. Ils m'ont d'ailleurs parlé de la joie et de la gratitude des "tox" quand ils y "jouaient aux anges"; la même chose que moi-même j'avais observé le temps, où je passais mes journées à Abrigado. Si j'ai plein de doutes et si les Stroossenenglen semblent être très loin de ce que j'avais espéré, du point de vue aide ponctuelle pour les plus démunis du pays, il est sûr et certain que la commune de Luxembourg-ville se trompe et que leur existence est très précieuse, pour ne pas dire primordiale, pour les sans-abri.
Impression très positive, qu'il faut relativiser un peu. D'abord, beaucoup de sans-abri ne savent rien de leur existence ou n'ont aucune idée des services qu'ils offrent et dans un pays, où d'une part, beaucoup qui serait possible, échoue à cause de différents entre le Ministère de la Famille et celui de la Santé (d'après Philippe, qui devrait bien savoir de quoi il parle), ou encore à la suite de décisions entièrement incompatibles avec la réalité sur le terrain (d'après M. de Streetwork Uewerstad, qui, elle aussi, devrait savoir de quoi elle parle), de l'autre, les éducateurs travaillant dans une institution donnée ne semblent pas du tout être au courant de ce qui se passe chez les autres (d'après les expériences que j'ai faites en demandant des informations actuelles sur la Caritas chez la Croix-Rouge ou vice-versa ou encore concernant la Stëmm ou la WAK chez les uns et les autres), il ne faut guère espérer que dans les foyers pour SDF on leur en donne des informations. Puis, il ne faut pas trop s'attendre à vraiment recevoir ce qu'on a espéré. En effet, les Stroossenenglen commandent les vêtements dans le vestiaire de la Croix-Rouge et il me semble que ceux, qui rassemblent les habits, ne se rendent pas compte de ce que c'est la vie dans la rue. Ainsi, j'ai reçu des chaussettes d'été au début de l'hiver, de toutes petites couvertures légères et toute une série de vêtements clairs ou même blancs, pas vraiment le meilleur choix pour quelqu'un qui dort dehors. Le sac de couchage faisait son service, les souliers étaient parfaits, mais le costume de ski était en 2 pièces et la veste n'était pas vraiment une veste de ski, en plus sans capuchon. De belles choses, mais pas vraiment ce qu'il me fallait et sans aucun doute quelqu'un d'autre aurait pu pleinement en profiter. Partiellement ma faute et ces petits inconvénients étant probablement très faciles à éviter: en demandant pour avoir des habits, donner toutes les précisions nécessaires pour tirer leur attention sur ce qui importe vraiment.
La photo de la visite des Stroossenenglen dans mon squat sur leur Facebook
Après une très longue discussion avec leur responsable et toutes ces belles choses qu'il disait, j'étais convaincu qu'enfin il y aurait une organisation SDF au Luxembourg, qui serait réellement là pour nous. Et, apprenant que l'un de leurs grands projets pour les semaines à venir serait de contacter les communes, de tirer leur attention sur le fait que la vraie pauvreté existe dans ce riche pays, les confronter avec la situation réelle des sans-abri, j'étais certain qu'enfin nous aurions une voix, quelqu'un qui parle pour nous, nous défend, nous protège contre ceux, qui se prennent le droit de faire avec nous, tout ce qu'ils veulent, justement parce qu'il n'y a personne qui parle pour nous. Mes rêves tournaient une nouvelle fois en illusions. Les premiers doutes venaient quand je me rendais sur leur site Web: un massacre de la langue luxembourgeoise avec une trentaine d'erreurs d'orthographe dans une texte de moins de 120 mots. Où est le rapport, vous vous demandez probablement. Cela m'a donné l'impression d'un manque de sérieux, d'un manque de prendre le soin et le temps nécessaires dans ce qu'ils font. Le fait de travailler 40h par semaine et de s'occuper des SDF durant leur temps libre en est l'explication la plus probable. Mais, si on ne connaît pas une langue, pourquoi ne pas demander à quelqu'un d'autre d'écrire le texte ou de le faire en allemand ou en français? Une autre chose sur leur site, que je ne comprends pas: Pourquoi le domaine des Stroossenenglen porte le nom de leur fondateur et non pas stroossenenglen.lu ou similaire? Là encore, on peut se demander où est le problème. Pour moi, ces petites choses "dérangent", mettent mal à l'aise, créent des doutes. Du coup, je n'était plus sûr que poster les photos des sans-abri, à qui ils portent secours, sur leur Facebook était vraiment une bonne chose (et pourquoi y mettre des images avec, en plus des SDF, aussi leur camionnette et eux-mêmes?). Était-ce vraiment pour montrer la réalité de la vie dans la rue, ou était-ce avant tout montrer leur travail dans la rue à l'aide de photos montrant des gens vivant dans la rue? Peut-on dire que cela se justifierait par le fait que cela aide à leur rapporter les dons nécessaires à leur fonctionnement? L'impression d'un manque de sérieux grandissait, quand je leur demandais par SMS quels jours et à quelle heure leur camionnette serait devant Abrigado. J'ai dû écrire 3 ou 4 fois avant d'avoir une réponse! (Pas de réaction d'ailleurs non plus, quand, en avril cette année, je les contactais en relation avec mon article concernant la situation des SDF sous le confinement).
Se faire de l'espoir, semble finir toujours par se retrouver dans un trou noir et plus grand est l'espoir, plus grand sera la déception. Quand ils m'avaient demandé, s'ils pourraient poster une photo de moi dans mon sac de couchage, je leur avait demandé si eux, ils pourraient mentionner mon site sur leur Facebook. Ne pas l'avoir fait, était pour moi un choc imprévu (le clochard naïf, qui ne cesse de croire au Père Noël), qui me jeta une nouvelle fois dans l'un de ces trous noirs, où je me retrouve régulièrement quand je suis convaincu qu'un futur en dignité pourrait exister pour nous. D'abord, combien on peut croire, combien on peut faire confiance à des gens, pour qui faire une promesse semble ne rien avoir à faire avec la tenir? Et puis, prétendre de voir leur tâche à informer les gens de la situation réelle des SDF, rencontrer un SDF qui a un site avec plein d'articles décrivant cette réalité et ne pas profiter de partager cette information, n'est-ce pas un contre-sens? Comment expliquer, qu'ils ont décidé de renoncer à la possibilité non seulement de lutter contre ces préjugés que les SDF ne font que passer toute la journée à se soûler, mais aussi celle de décrire des expériences vécues par l'un de nous avec notre système social et ceux qui y travaillent? Est-ce qu'informer les gens ne serait rien d'autre que leur faire connaître leurs points de vue, comparable à l'aide du "système officiel", qui n'est la plupart du temps autre chose qu'essayer de nous imposer ce qu'eux ils croient être la meilleure chose pour nous, sans se préoccuper de ce qui est vraiment important pour nous? Tourmenté et ne voulant pas croire que je m'étais une nouvelle fois trompé, je leur demandais par SMS pourquoi ils n'avaient pas mis un lien vers mon site sur leur Facebook. J'attends toujours pour avoir une réponse! Qu'ils n'auraient pas le temps de répondre à mes questions, ils m'ont dit. Et moi, une nouvelle fois, avec cette impression destructrice que pour ceux qui travaillent dans le social, les sans-abri ne sont pas vraiment des êtres humains à part entière, que ce qui, dans leurs yeux, il nous faut et suffit, c'est quoi manger et nous protéger contre le froid, mais sans que nous ayons le droit à une considération du point de vue psychologique, émotive et intellectuelle (comme c'est le cas pour les "vrais êtres humains"). Aucun problème pour les anges de consacrer une heure pour venir de Gilsdorf vers mon squat, mais pas quelques minutes pour répondre à cette question, qui à ce moment-là était 100 fois plus important pour moi que le sac de couchage et les vêtements que j'avais reçus d'eux. «Est-ce que tu crois que nous n'avons rien d'autre à faire que passer notre temps au GSM?», l'une d'eux m'a lancé. Déception, résignation, perte de confiance en moi-même et autrui...
Conclusion à tirer? Pas vraiment d’idée! Si je devais le faire en une phrase, alors peut-être: Du point de vue "services matériaux", c'est une très bonne chose pour les SDF qu'ils existent, mais aucune raison de s'attendre à plus. Bien-sûr, je me rends compte que plus on croit à quelqu'un, plus on est sévère à l'évaluer. Mais comment faire pour faire confiance à des gens, qui non seulement disent vouloir informer les gens, mais qui semblent refuser de partager les expériences que nous vivons réellement, mais en plus réagissent d'une manière assez agressive, quand on leur demande pourquoi? Comment faire pour les considérer comme honnêtes, s'ils ne tiennent pas ce qu'ils ont promis? Comme se laisser convaincre qu'ils nous respectent, si à plusieurs reprises il m'ont ignoré, comme si, pour eux, je ne serais que de l'air? Je donnerais tout, si cela était autrement! Mais est-ce que je dois vraiment me plaindre de vivre ces mésaventures? C'est ma faute et non pas celle des autres, de m'obstiner à croire aux contes de fées!
allu, septembre 2020