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J'avais planifié ma vie au bord de la société (vivre une vie normale, sans profiter des gens qui travaillent, donc sans avoir recours au RMG)
en détail, le problème majeur étant de trouver un endroit, où je pourrais dormir gratuitement. Si cela existait dans nos pays voisins, au Grand-duché du début du
21e siècle, il n'y avait que très peu de possibilités pour les SDF pour passer la nuit (avec les night shelters et de la Caritas et de la Croix-Rouge,
cela a heureusement changé entre temps). La plupart de nous ne connaissaient que le Centre Ulysse, où les clients devaient (et doivent toujours) payer pour y séjourner.
Je pense que c'était cette assistante sociale française, qui était la première à réellement vouloir m'aider, qui m'a parlé du Foyer Abrisud à Esch. J'y ai eu un
entretien et, très probablement, j'aurais pu y avoir un lit, entièrement gratuit, à ma très grande surprise. Cependant, comme Abrisud (avec
le trajet à faire et du fait de devoir être là une heure plus tôt que chez la Caritas) était très mal compatible avec mon occupation de prendre des photos de concerts,
qui ont souvent lieu dans la soirée dans la capitale, j'ai cherché une autre solution. Le Centre Ulysse semblait être prêt à faire une exception pour "mon cas spécial",
l'assistant social (P.), comme le responsable du foyer (R.C.), étaient favorables à me laisser y dormir gratuitement, sans bien-sûr avoir droit aux services, dont
bénéficient les "clients normaux". Je me suis donc décidé pour Bonnevoie - quelle erreur monumentale! Jeté dans la rue comme une chien d'un jour
à l'autre suite à la décision du Ministère de la Famille, je me suis retrouvé dans un environnement hostile, auquel je n'étais aucunement préparé. Ce n'était
autre chose que souffrance. Incapable de m'y adapter, souffrant de plus en plus du froid, j'étais finalement forcé à enter au Centre Ulysse en tant que client payant
- la période la plus difficile avec les pires expériences de toute ma vie!
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Au Centre Ulysse les lits étaient (et je suppose, le sont toujours) strictement réservés aux clients, c'est-à-dire, même si quelqu'un n'était pas là durant une ou
deux journées, personne d'autre n'a pu obtenir un toit sur la tête temporaire durant ce temps. Pas étonnant pour une institution, où les gens sont forcés de payer
le séjour. À Esch, la situation est entièrement différente (et peut-être cela n'est pas étonnant non plus, parce que le séjour y est gratuit pour tout le monde).
Je ne me rappelle plus si quelqu'un m'avait parlé de cette possibilité ou si c'était le désespoir, la peur du froid et de la pluie et la fatigue qui m'avaient poussé à
tenter ma chance. Quoi qu'il en soit, j'ai passée 3 ou 4 nuitées au Foyer Abrisud. Le principe est bien simple: Si on se présente au foyer à 17 heures et s'il y a
un lit de libre (parce que l'un de leurs clients est absent), alors on peut avoir ce lit pour cette nuit-là. Comme jusque là je n'avais
fait des expériences qu'avec la Caritas, j'en étais bien surpris. Et l'impression, que cet endroit pas comme les autres me donnait, était bien positive. Je venais
donc à 17 heures, quelques formalités à remplir (je pense que la seule condition pour pouvoir rester est d'avoir une pièce d'identité), une demie heure sous
la douche, passant le temps à mon aise jusqu'au souper commun, puis, d'habitude, allant me coucher. À la grande différence avec le Centre Ulysse, je
me sentais libre, un être humain à part entière, le foyer lui-même rien à faire avec une prison, une communauté, voire une grande
famille plutôt qu'un foyer pour SDF.
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J'ai appris qu'il y avait des clients à long terme, tout comme des clients qui n'y restaient que très peu de temps. Pour les uns, comme pour les autres, y compris ceux,
qui bénéficiaient du RMG, les nuitées au Foyer Abrisud étaient (et sont encore aujourd'hui) entièrement gratuites. Personne, qui me forçait
à faire quelque chose, personne qui essayait de m'imposer quoi que ce soit. Au Centre Ulysse, il y avait plein de conditions et plein de règles; ici, respecter et
laisser tranquille les autres semblait être la seule loi à devoir observer. Je n'étais jamais d'accord qu'au Centre Ulysse, des gens qui payaient leur séjour, devaient
faire la vaisselle ou effectuer d'autres travaux, qui auraient dû être faits par ceux, qui sont payés avec l'argent des clients. D'autant plus que cette règle était
pour tout le monde, donc aussi pour les personnes âgées (le plus souvent des retraités, qui à cause de leur addiction à l'alcool ne trouvaient pas un vrai chez-eux),
qui devaient leur laisser la presque totalité de leur pension pour avoir droit à une chambre à 4 ou 6 lits, où ils ne pouvaient entrer qu'entre 19 heures du soir et
8 heures le matin, et pour qui, parce que faibles et malades, ces travaux ménagers étaient une vraie corvée. Le merci de cette société de m* à ceux qui ont travaillé
et payé des impôts dans ce pays! À Abrisud, rien de tout cela. Les éducatrices s'occupaient de tout, entre autre à préparer le souper. Et
oui, c'était le personnel éducatif qui cuisinait. Repas complet, et vraiment bien bien! Moi-même, j'avais toujours un peu le sentiment de profiter, venant là et me
laissant servir. C'est pourquoi, je leur ai à chaque fois demandé, s'il n'aurait rien que je pourrais faire pour aider un peu. La seule chose, qu'ils ont trouvé,
c’était mettre la table et vider la machine à vaisselle. Si on compare avec le Centre Ulysse, où un jour, où j'étais fatigué et malade, j'étais forcé à aider à
déménager des lits... Je ne suis pas sûr, mais je pense que le matin, les éducatrices préparaient même des sandwiches, que les clients pouvaient prendre avec pour
la journée.
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Je m'y sentais libre, j'ai dit plus haut. Ce n'était pas juste un sentiment, mais bien une réalité. Le Centre Ulysse était comme une prison, où les clients étaient
des êtres de troisième classe, sans droits, à la merci des éducateurs et du système. Pas question de pouvoir dire, ce qu'on pensait; ceux qui l'avaient essayé se
sont retrouvés dans la rue. Pas de droit à la libre expression donc, pas de droit à une vie privée, non plus. Les éducateurs fouillaient régulièrement les armoires.
Sans que la personne concernée était présente. Inacceptable! Bien-sûr je n'ai pas de preuve qu'au Foyer Abrisud ce genre de fouilles n'existait
pas, mais je suis presque certain que ce n'était pas le cas. Nous étions de vrais êtres humains, donc forcément, il y avait des lois qui nous protégeaient.
Pour les gens, ayant besoin de médicaments, la vie au Centre Ulysse posait des problèmes supplémentaires. Les clients n'avaient pas le droit d'avoir des médicaments
sur eux. C'était le foyer, qui les envoyait chez le médecin, c'étaient les éducateurs qui allaient chercher les prescriptions à la pharmacie. Ils gardaient les
médicaments dans leur bureau, les distribuaient à une heure précise et il fallait les prendre devant eux. Durant de nombreuses années, j'ai pris le Dominal
80 pour dormir. Une sorte d'assurance, car je pouvais être sûr que, quelle que soit la situation, j'arriverais à passer une nuit tranquille. Le fait de devoir prendre
mon cachet à une heure précise signifiait ne pas pouvoir décider moi-même, à quelle heure aller me coucher. Le fait qu'ils ne me permettaient pas de prendre avec mon cachet
"au besoin" a eu comme conséquence, que pour avoir un lit, je devais payer le prix de dormir moins et surtout beaucoup moins bien que dehors dans mon sac de couchage.
À Esch, ce problème aussi ne se posait pas. Je pouvais prendre mon Dominal avec dans ma chambre et le prendre quand je le jugeais adéquat.
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Il est évident que lors de la comparaison du Foyer de nuit Abrisud et du Centre Ulysse, il faut tenir en compte que le premier est une petite structure avec une
trentaine de lits uniquement. Nettement plus facile donc d'y construire une communauté. Mais, je suis convaincu que l'origine de ces différences fondamentales que
j'ai vécues, va de pair avec la philosophie de base des deux institutions. Je définirais Abrisud comme un endroit entièrement gratuit pour tout
le monde et essayant d'être là et d'aider autant de SDF que possible, tout en les traitant comme des êtres humains à part entière. Les règlements en vigueur
au Centre Ulysse rendent tout cela impossible. La direction de la Caritas ferait bien d'aller quelques jours à l'école à Esch! D'autre part, ce ne serait pas objectif
de donner toute la faute à la Caritas. Le Centre Ulysse dépend financièrement à 100% du Ministère de la Famille, donc ce sont eux qui font les lois, qui prennent les
décisions (et on l'a bien vu dans le cas de mon exclusion). Que ces bureaucrates au Ministère n'auraient aucune idée de ce qui se passe sur le terrain, que leurs
décisions non seulement rendraient leur travail difficile, mais souvent le saboterait, M. de Streetwork Uewerstad m'a dit une fois. Et supposer que ces dames et
messieurs aux traitements de plusieurs fois le salaire des "petites gens" auraient un intérêt quelconque à garantir une vie en dignité aux SDF, ne serait-ce autre
chose que croire aux comptes de fées?
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Mes expériences avec le Foyer de nuit Abrisud remontent à une dizaine d'années. Quand on voit toute cette évolution négative dans les centres sociaux (meilleur exemple
la Stëmm vun der Stroos, qui n'a plus rien à faire avec une institution pour sans-abri), il faut évidemment se demander, quelle est la situation à
Abrisud en 2021. Je les ai contacté par e-mail, leur posant quelques questions précises. Voici ce que j'ai appris concernant la situation actuelle:
- Le Foyer Abrisud dispose de 18 lits, 14 pour hommes et 4 pour femmes.
- La durée de séjour est variable, aussi bien des clients à long terme que des gens qui n'y dorment que durant une courte période.
- Le séjour est toujours entièrement gratuit.
- Lorsque des lits restent inoccupés, ceux-ci sont mis à disposition des personnes qui se présentent le soir au Foyer. Par contre, les douches et repas sont réservés
aux clients (les gens auraient la possibilité d'utiliser ces services à la Stemm, on m'a dit).
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Dans mon e-mail, j'ai demandé «Cette possibilité de passer une nuit, parce qu'un lit est libre ce jour là, nécessite-t-elle la possession d'une carte d'identité? Dans
le cas, où il semble évident qu'on est luxembourgeois, est-ce que la nuitée est refusée si on n'a pas de papiers? Pas d'exceptions possibles? Même s'il apparaît
clairement qu'on est mal au point?» La réponse d'Abrisud: «En règle générale nous sommes contraints à identifier la personne désirant séjourner au
Foyer de nuit Abrisud». Ce qui premièrement est compréhensible, deuxièmement est prescrit par le gouvernement, plutôt qu'une décision du foyer, je suppose.
Malheureusement, qu'il en est ainsi, car parmi ceux, qui habitent réellement dans la rue, donc les plus vulnérables dans notre société (et souvent s'agissant de gens,
ayant travaillé durant des années au pays), il y a une partie, qui n'ont pas de pièce d'identité. Mais, peut-être l'expression "en règle générale" dans la réponse
d'Abrisud a une signification, qui donne lieu à l'espoir. «Nous faisons des règles pour pouvoir faire des exceptions», W. de la Stëmm vun
der Strooss a dit une fois. Peut-être cette philosophie est aussi appliquée à Abrisud.
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Un autre point très important dans mes yeux est la gratuité du séjour à Abrisud. Au début, le foyer de nuit était entièrement sous la responsabilité de la commune
d'Esch/Alzette et si les clients n'avaient rien à payer, cela doit être parce que le conseil communal en a décidé autant. Je sais, qu'au moment où, pour des raisons
financières, je suppose, l'État est intervenu, on a parlé de faire payer ceux qui y séjournent. Mais on n'est jamais arrivé là et en 2021, le séjour au
Foyer Abrisud est toujours entièrement gratuit. Je leur ai demandé «Peut-on dire que c'est la commune d'Esch qui s'est imposée [au Ministère] et que la gratuité a
subsisté grâce à l'engagement de membres du conseil communal?» Je n'ai pas eu de réponse à cette question, mais je pense que cela doit s'être passé comme ça. En tout
cas, merci à ceux, qui l'ont fait possible. Et globalement, merci à tous ceux qui mettent l'accent sur le sentiment humain et la dignité des gens,
plutôt que d'essayer de réaliser des théories pas applicables en pratique, d'imposer leurs points de vue, de faire payer les gens pour pouvoir bénéficier de ce que
j'appellerais «un minimum, à quoi, dans un pays civilisé, tout le monde devrait avoir le droit d'office et sans conditions».
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allu, août 2021
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