La vie SDF au Luxembourg

Un endroit idyllique, qui est très loin d'en être un!

Ne pas laisser faire ceux qui prêchent la haine!
Au début, quand, fuyant les vols et agressions par des jeunes arabes à Luxembourg-ville, je suis venu ici, j'étais émerveillé. Tout semblait être différent: Des gens gentils et aimables, des jeunes polis qui respectaient mon squat, la possibilité de vivre ma vie au bord de la société tout en faisant partie d'elle, accepté dans ma différence, ayant enfin trouvé mon petit coin tranquille et en sécurité, où je pourrais entièrement me consacrer à mes articles sociaux et mes programmes informatiques. De toutes les erreurs, que j'ai faites dans ma vie, être venu ici est peut-être la plus fatale, car remarquant de plus en plus que les gens ici ne sont pas différents de ceux qui m'ont fait mal ailleurs, voyant ceux qui prêchent la haine prendre le dessus, devant avoir peur de perdre mon chez-moi, voire d'être agressé dans le but de me faire partir, c'est tout à ce que j'ai cru qui risque de s'écrouler: la confiance dans mon pays, ses citoyens et moi-même, la croyance à la dignité humaine et au respect, à la bonté au fond des êtres humains, à l'espoir et à un avenir pour moi, tous ceux de mon côté de la barrière, du Grand-duché de Luxembourg de demain.
Bien-sûr, c'était ultra-stupide de ma part de penser qu'un sans-abri pourrait être accepté en tant qu'être humain dans un pays, où la seule valeur restante est le fric. D'autre part, il faut bien dire que l'illusion, que cela pourrait être possible, était bien réelle durant 2 ans, comme le montrent d'ailleurs les trois premiers textes dans cette section. Beaucoup de gens, en premier lieu les gens travaillant dans les magasins dans la rue commerciale, me traitaient et traitent toujours, comme ils traitent tout autre habitant de cette petite ville. En plus, il y a tous ceux, qui m'ont supporté dès le début et la plupart d'entre eux le font toujours et de telle manière qu'il m'est possible de vivre sans devoir faire la manche. Un grand merci à eux tous! La meilleure preuve, que je me sentais très à l'aise ici, sont cette douzaine d'articles et une soixantaine de programmes (des milliers et milliers de lignes de code) que j'ai écrits depuis que j'habite ici. «Ma deuxième ville préférée [derrière Montréal]», j'ai toujours dit. Après presque 3 ans ici, cela pourrait se terminer avec la plus douloureuse expérience de ma vie!
Dans mon texte de février, j'ai décrit les problèmes avec ces écoliers de luxe, qui ont choisi mon squat pour en faire un local de commerce et de consommation de drogues (terme obsolète, depuis que notre gouvernement a décidé de légaliser ces substances, je sais...). Mais, même si cela fait peur de devoir passer tous les midis 1 ou 2 heures dans la rue durant l'hiver et attendre leur départ, ce ne sont pas les jeunes, que je dois craindre le plus. C'est depuis le début de l'année, que ce groupe de luxembourgeois, typiquement luxembourgeois (des "vieux" d'ici, mais n'ayant rien à faire avec le club de pétanque local, avec qui je me suis toujours bien entendu), viennent régulièrement faire leur partie de boules près de mon squat. Cela commençait avec des petites insultes, criés de loin, puis des menaces comme «nous allons t'enlever toutes tes affaires», que je n'ai pas trop prises au sérieux. D'ailleurs, ceux qui me harcelaient, c’étaient toujours ceux qui l'accompagnaient, jamais M. K. lui-même. Jusqu'à vendredi passé. Ce monsieur, de qui on m'a dit qu'il aurait plein de fric mais que toute sa fortune proviendrait de l'héritage fait de son père, s'est posé devant moi et durant un bon quart d'heure, m'a crié dessus (dommage qu'il n'y a pas d’enregistrement vidéo), m'a dit que je devrais avoir honte, tout comme ceux de la ville, qui supporteraient quelque chose comme moi, que je n'aurais rien à chercher ici, que ce serait une honte pour la ville et ses habitants, une horreur dans les yeux des touristes. Très difficile à croire qu'il y croit lui-même à ses propos, hurlés avec toute la haine du monde. Si ma présence serait vraiment tellement nuisible à la ville, est-ce que les autorités communales m'auraient donné leur hospitalité durant tout ce temps? Et lui-même, n'ayant rien eu à me reprocher durant deux ans et demis (et, triste paradoxe, étant celui qui m'avait offert une chambre dans son hôtel durant l'hiver 2017/18), se rendrait tout à coup compte, que dans leur ville bien-aimée, s'est installée une incarnation du mal, qu'il faut faire partir par tous les moyens? «Par tous les moyens», ce sont ses propres mots. Et que je ne survivrais pas la fin de l'été dans mon squat...
Que des chien qui aboient ne mordraient pas et que partir sans me défendre ne serait que leur donner raison, l'un de ceux qui m'a supporté dès mes débuts ici, m'a dit. Il n'a pas senti cette haine sans limites, ni jamais fait l'expérience sur son propre corps quand une telle haine aboutit à des coups de pieds brutaux et des côtes cassées. Est-ce paranoïde de m'imaginer le pire? Peut-être. Mais rien ne transforme les hommes plus en sauvages que la haine aveugle et est-ce vraiment à exclure que, si M. K. n'arrive pas à convaincre le bourgmestre de me chasser de la ville, il prenne lui-même l'affaire en main (déjà afin de ne pas perdre son visage et son rôle au sein de leur groupe); devant considérer aussi qu'il n'est vraiment pas difficile de trouver au Luxembourg 2019 des gens qui pour quelques billets sont prêts à tout. J'ai peur! Tellement peur que j'étais sur le point de tout abandonner. Mais, je suis devenu dur durant ces 11 ans dans la rue. Et puis, cette histoire est dans mes yeux bien plus que chasser un clochard de son squat. La haine des gens contre d'autres gens, qui ne leur ont jamais rien fait de mal, augmente en flèche. Parfois, en écoutant les "vieux" sur les terrasses, on se croirait en Allemagne anno 1936! Une lutte désespérée contre ce qui va très probablement être le Luxembourg et l'Europe du futur, mais si personne n'essaie de faire quelque chose ... et si ce n'est qu'écrire ce texte...
En dehors de la question, si j'ai fini par courir plus de risques pour mes affaires et mes os ici, que dans les centres de la Caritas, ce qui me préoccupe, ce sont les raisons de cette haine. Pour au moins deux du groupe, je pourrais m'imaginer, qu'ils croient vraiment que tout ce qui va mal dans leur ville est ma faute et que par conséquent, il faut se débarrasser de moi. Mais, M. K., quels pourraient être ses motifs? Avec les changements profonds que connaît notre société, avec l'influence de plus en plus importante de partis néo-nazis partout en Europe, ma première pensée était que le fasciste se serait réveillé en lui, pareillement à pleins d'autres, comme le montrent de plus en plus d'articles alarmants dans les journaux. Mais, je pense que cette hypothèse n'a pas plus de fondement que de prendre au sérieux ces cris que ma présence ici aboutirait au déclin de la ville. La projection de ses propres insatisfactions, peurs et échecs sur des minorités qui ne peuvent pas se défendre et qui n'ont personne qui parle pour eux, est un comportement caractéristique de l'espèce humaine. En plus, au Luxembourg, la maladie nationale numéro 1, même encore avant l'avidité de fric, c'est la jalousie. Et la jalousie, en tant que moteur de la haine, je pense que tout le monde en connaît plein d'exemples. Je ne connais pas M. K., mais d'après ce qu'on m'a dit, sa vie privée serait tout autre chose qu'un gâteau. Il aurait donc effectivement une raison pour trouver quelqu'un sur qui décharger son incapacité de gérer sa propre vie. En plus, si l'on imagine un type, ayant plein de fric, insatisfait de lui-même et de sa vie, qui voit quelqu'un, qui n'a pratiquement rien, être assis sur son sac de couchage "travaillant" durant des heures sur son laptop (sans recevoir un seul sous pour ce qu'il fait) et cela en chantant la plupart du temps (une manie de ma part, en tant que contre-poids à la mauvaise humeur typique des gens dans ce pays), n'y a-t-il pas de fortes chances que c'est dans cette direction qu'il faudrait chercher pour trouver la réponse à mes questions?
Loin de n'être qu'une question d'un clochard non-désiré chassé de son squat, j'ai dit plus haut. Ce qui me fait beaucoup plus peur (d'autant plus, que la grande majorité des gens ne semblent pas s'en rendre compte ou plongent leur tête dans le sable), c'est l'évolution générale et de la politique et de la mentalité des gens dans ce pays. Un Luxembourg, qui devient de plus en plus un pays exclusivement pour les riches et les forts, les vieilles gens étant de plus en plus considérés comme des déchets humains plus bons à rien; les gens qui ne respectent ni rien ni personne qui sont les plus respectés, ceux qui ont les plus gros poings et les coups de pieds les plus brutaux pouvant prendre aux autres ce dont ils en envie; ceux qui ont du fric ne devant plus se tenir aux lois et la loi qui ne protège plus ceux qui n'ont rien; la liberté individuelle faisant place au contrôle par le gouvernement ou ceux qui, derrière les coulisses, sont vraiment ceux, qui décident de la politique... Si un monsieur plein de haine, parce qu'il a du fric, peut décider à qui les responsables communaux donnent leur hospitalité, si des gens, qui pour une raison ou une autre, ont du pouvoir, ont le droit de décider du sort des "simples mortels", n'est-ce pas à moyen ou long terme la renaissance de ces idées malades qui répartissent les gens en "ariens" et "pas assez de valeur pour vivre"? Est-ce vraiment une telle société que nous souhaiterions pour nos enfants? Des gosses, à qui on prêche dès l'âge de 3 ans que la valeur d'un être humain est déterminé par le contenu de son compte bancaire, des adolescents qu'on a infectés avec l'idée de devoir haïr tous ceux qui sont différents, des gens qui doivent avoir honte parce qu'ils ne crient pas avec ceux qui prêchent la haine, parce qu'ils n'ont pas de préjugés, parce qu'ils se font un plaisir de partager et d'aider les autres; être considéré comme anormal et être stigmatisé par les autres parce qu'on a (su garder) des sentiments humains... Quelle horreur! La fin de l'humanité longtemps avant son extinction! Ce sont nous qui créons le monde de demain. C'est notre choix aujourd'hui qui décide si nos enfants pourront vivre une vie d'êtres humains ou devoir endurer un enfer sous la tutelle de sauvages vivant de leur haine et du plaisir de faire mal aux autres!
allu, juin 2019